La mine a encore tué.
Le grisou qui sommeillait dans le sous-sol s’est réveillé pour déchirer ,à 710 mètres de
profondeur, la vie des hommes qui s’y trouvaient .
Le bilan est terrible, il s’élève à 42 victimes.
C’est la plus importante catastrophe minière de France après courrières.
Il y aura huit rescapés, 116 Orphelins ,des veuves et des mères éplorées.
Stéphan Szczepanski
Ce vendredi là, Anna Szczepanski n’a pas entendu sonner son réveil. C’est donc à jeun, en pestant un peu que son mari Stéphan s’est rendu à la fosse, au 3 de Lens à Liévin. Quand il est arrivé au fond à moins 710 m dans le chantier des Six sillons il était un peu plus de 6 h du matin. Il a décidé de d’abord casser la croûte.
C’est sous une encoignure qu’ils se sont assis un collègue et lui. Ils ont sorti les tartines.
Quelques minutes après tout explosait. Stéphan Szczephanski n’a rien vu, a juste entendu l’énorme déflagration. Seize ans après, ce rescapé de la plus importante catastrophe minière de l’après-guerre se souvient seulement des cris de son collègue hurlant qu’il y avait eu un coup de grisou, qu’il fallait se sauver, vite.
Il n’a pas pu bouger, cloué au sol par un fémur qui avait volé en éclat. Ils furent, son collègue et lui, les premiers à être secourus. Il y eut cinq rescapés et 42 morts.
« Une chance comme celle là on n’en a pas deux dans sa vie ». Stéphan Szczepanski n’est jamais redescendu au fond. Il n’a jamais repris son travail. Après 18 mois d’hospitalisation et de convalescence il optait, à 44 ans, pour la retraite. Il est vrai qu’il avait déjà 31 ans de fond. « il ne fallait plus lui parler de la mine » dit sa femme.
« Aujourd’hui je ne pense plus à la catastrophe ». Il est même difficile de la lui faire évoquer ce matin là. Il est vrai qu’il a tellement été sollicité… « On me regardait comme une bête curieuse plutôt que comme un miraculé. Je ne voulais pas sortir au début. Il fallait toujours raconter les mêmes choses ».
Stéphan Szczepanski a été grièvement brûlé au visage, aux mains. Il a eu le coude broyé, le fémur multi-fracturé. « Et puis il y a les tatouages … ». Ces multiples incrustations de charbon logé si profondément sous la peau, qu’on n’a jamais pu les extraite. Tout le côté gauche de son visage lui rappelle, dès que son regard croise un miroir ou celui d’un passant intrigué, qu’un vendredi de décembre la terre a failli se refermer sur lui.
Voix du Nord 22 Déc 1990
LIEVIN FOSSE 3 LE 27 Décembre 1974
27 décembre 1974 : un coup de grisou dans la veine 6 sillons de la fosse 3 dite Saint-Amé fait 42 victimes à Liévin et marque la fermeture du site.
NOEL 1974.
Les travailleurs de la mine bénéficient d'une sorte de week-end prolongé : cinq jours sans descendre dans les entrailles de la terre ! Un long repos !
Dans les familles, c'est fête : cadeaux, réjouissances ap-portent la joie dans les foyers. Et plus encore, dans les familles polonaises, car le lendemain c'est la Saint Etienne, la fête nationale.
Vendredi 27 décembre, il faut se remettre au travail. Pour deux jours seulement ! Et les mineurs affectés au poste du matin de se rendre à leur puits respectif, encore tout à la joie des jours qu'ils viennent de vivre.
A la Direction Générale des H.B.N.P.C. où je suis employé, soudain, en début de matinée, un bruit court : un accident se serait produit dans une mine de l'ancien groupe de LENS LIEVIN, et il y aurait 7 morts.
Dans le courant de la journée, la nouvelle est confirmée. Plus grave, au fil des heures, la liste des victimes s'allonge. La corporation minière est encore une fois durement touchée 42 morts, 5 blessés. Un bilan lourd, très lourd.
L'ADIEU SOLENNEL AUX MINEURS
D'EMOUVANTES CEREMONIES
Lors de chaque catastrophe, d'émouvantes cérémonies rassemblent une foule de camarades de travail, d'amis, de personnalités autour des familles éprouvées.
Des condoléances affluent de partout ; des télégrammes des plus hautes personnalités, de Sa Sainteté le Pape, du Président de la République sont transmis aux familles des victimes et aux responsables de la corporation minière. Des discours sont prononcés, des engagements sont pris, des souhaits formulés pour que « jamais plus pareille catastrophe n'arrive ».
Le 31 décembre 1974, à Liévin, le Premier Ministre déclare : « Je suis ici pour dire aux mineurs que le peuple français sait tout ce qu'il leur doit... pour dire aussi à cette région, une fois de plus si cruellement éprouvée, qu'au delà des jours de deuil, elle doit garder l'espoir... ».
L’évêque d'Arras. MM. Cerjak, délégué mineur de la fosse 3, Darras, député-maire de Liévin, Jacques Chirac, premier ministre, sont venus apporter un dernier hommage aux disparus.
(Relais - janvier 1975)
TÉMOIGNAGES
André VEREZ
Je suis devenu un "petit homme".
André VEREZ, 76 ans, Rescapé.
"Normalement, je n'étais jamais du poste du matin. Ainsi le 26 décembre, j'étais de l'après midi mais j'avais accepté de permuter de poste avec un camarade pour le lendemain. Donc, j'étais du matin le 27 décembre et je suis descendu avec tous les autres à 5h30, notamment avec Emile HANON mon coéquipier. Nous étions affectés au matériel et au fond, il nous fut demandé d'aller chercher des matériaux à 500 m. Nous nous mîmes en route et, arrivés à l'endroit convenu, nous entendîmes un grand bruit sourd d'explosion. Etonnés, nous nous posâmes la question "Qui est ce qui buque à cette heure ?".Nous n'attendîmes pas longtemps la réponse car nous vîmes arriver vers nous un immense nuage de poussière incandescente qui nous renversa sur son passage. En tombant, je me cognai contre un étançon. Complètement sonnés, nous réussîmes au bout d'un certain temps à remonter tant bien que mal... Là, nous fûmes pris en charge immédiatement par une équipe médicale et il était temps car il fallut 3 mois d'hôpital et 6 mois de soins après pour me remettre sur pied. Je n'ai plus jamais été au fond. En revenant au travail, j'ai été affecté à la lampisterie où j'ai terminé ma carrière. De toute manière, je n'aurais jamais su redescendre. Le 27 décembre a marqué ma vie : depuis ce jour, je suis devenu un "petit homme" au physique comme au moral. Je suis malade sans arrêt ; du moral, n'en parlons pas : je n'ai que des idées noires... "
Edouard SIMON
Je n'ai pas à me plaindre car trente ans après, même mal foutu, je suis encore là…
Edouard SIMON 69 ans Mécanicien d'extraction en 1974 à la fosse saint Ame
"A l'époque , j'étais remonté au jour depuis 4 ans pour cause de silicose et ma fonction consistait à faire descendre et remonter les ouvriers mineurs. J'avais ainsi passé la nuit du 26 au 27 décembre à mon poste et au petit jour, j'avais vu arriver tous ceux du matin.Je les connaissais à peu près tous et certains particulièrement bien : LENFANT, KUBIAK, FAYEULE, GODART, RAMEZ mon beau-frère... Nous avons causé ensemble et l'un d'entre eux m'a même taquiné "y en a qui ont de la chance d'avoir terminé leur poste !"... A l'heure habituelle, ils sont tous entrés dans la "cage" et de mon poste de commandement, je les ai fait descendre. Mon collègue du matin est venu me remplacer à 5h30 et je suis rentré chez moi. Je venais de me coucher quand de la radio qui fonctionnait en sourdine à côté j'entendis vaguement - j'étais déjà en train de sommeiller - l'annonce d'une catastrophe minière à Liévin et ces mots me revenaient sans arrêt dans ma tète "fosse 3 de Lens, fosse 3 de Lens... ". D'un bond je me levai, me rhabillai n'importe comment et filai en voiture à la fosse. Déjà, à peine à 7 heures, il y avait plein de monde. J'ai rejoint mon collègue à notre machine près de la cage. Il m'a annoncé qu'il y avait des morts, on ne savait pas combien au juste... Les secours étaient en bas. Tout de suite, je me rendis à la lampisterie où je constatai avec soulagement que la lampe de mon beau frère était rentrée. Malheureusement, j'appris aussitôt que celui ci avait demandé une autre lampe car la sienne ne fonctionnait pas bien. Je craignais le pire. Après cette sinistre journée à aller venir, à errer pour obtenir des informations parfois contradictoires, un garde vint chez moi vers 21hOO pour me demander de venir reconnaître les corps. En fait de reconnaissance, je me trouvais, dans la salle des quinzaines (où l'on nous payait) en présence d'un grand nombre de cercueils posés à terre en cercle. Tous comportaient une petite étiquette scotchée. Sur l'une d'elle, je lus le nom de mon beau frère... Fortement secoué par ce drame, j'ai dû poser 15 jours car je ne me sentais pas bien. Le médecin m'a découvert une hypertension sévère, moi qui n'en avais jamais. Encore aujourd'hui je suis soigné pour ça mais je n'ai pas à me plaindre car trente ans après, même mal foutu, je suis encore là. Je vis avec mes enfants et mes petits enfants. Je les vois souvent, je les aide comme je peux. Mes camarades, eux, sont morts !"
RANIERI Salvatore
Je n'ai rien oublié…
RANIERI Salvatore, 71 ans Rescapé
"Ce Noël-là, j'avais reçu toute ma famille d'Italie. Il y avait 25 ans que je ne l'avais pas vue. Alors on avait passé le 25 décembre ensemble et le lendemain nous avions rendu visite à un cousin. Rentrés à la maison on avait parlé d'un tas de choses et même on avait discuté de ce qu'était le grisou jusque 3 heures du matin.Le 27 décembre, comme mon coéquipier du fond était "farcé", j'avais pris la dernière cage, celle des parions, pour l'attendre le plus tard possible. Arrivé au fond, mon chef m'avait demandé de l'attendre à un endroit. Profitant de ce petit moment, je m'étais installé à genoux pour manger une mandarine. D'un coup dans un bruit d'une puissance formidable, je fus projeté à terre par le souffle d'une explosion et je sentis voler en éclats juste au-dessus de moi un nombre incalculable de débris de toutes sortes. Complètement "sonné" je me retrouvai dans un brouillard de poussière très dense ou j'avais beaucoup de mal à respirer. Je restais immobile incapable de bouger.Quelque temps après, je ne sais pas combien, les sauveteurs sont arrivés et je leur ai dit que deux camarades étaient à 500m au-delà. Ils y sont partis, je me suis redressé des leurs départ et j'ai repris la cage pour remonter dans le piteux état où je me trouvais. Au jour, quelqu'un m'a posé un tas de question et a pris des notes, un médecin m'a fait boire une potion. Je n'étais pas bien, j'en avais assez. Alors, profitant de la pagaille qui régnait, je me suis purement et simplement enfui. J'ai sauté sur ma mobylette et je suis rentré à la maison.Mon médecin traitant, me fit "poser blessé" durant deux mois et demi. A l'issue de ce délai, on a voulu me faire redescendre au 3 où j'avais vu tant de mes camarades morts. J'ai refusé et, défendu par un délégué syndical, fus affecté dans une autre fosse où j'ai terminé ma carrière en 1988.Ce drame a profondément marqué ma vie. J'ai eu toutes les peines du monde à être reconnu comme rescapé. On m'a purement et simplement oublié. Enfin, en 2002 une lettre de l'ANGR me fut adressée en ces termes "Nous pouvons reconnaître votre présence dans le chantier où advint l'explosion à la fosse 3 de Lens le 27 décembre 1974. A ce titre, vous pouvez vous prévaloir d'être considéré comme rescapé... ".C'était bien tard, d'autant que j'avais dû refaire 14 années de fond et qu'aujourd'hui je suis silicose à 55%. On ne m'a même pas fait la grâce de m'accorder les 3 mois qu'il me manquait pour arriver à 30 ans de service ! Cette catastrophe m'a fait changer. Je suis devenu agressif, nerveux. Au gré des nombreux cauchemars qui hantent mes nuits, je me retrouve dans le ventre de la terre, mangeant la poussière qui m'asphyxie. Alors, je sursaute et difficilement je reviens à la vie
Je n'ai rien oublié. Le 27 décembre 1974 mon existence. "
CARLIER Jacques
Trente ans après, j'ai encore la gorge serrée …
CARLIER Jacques, 78 ans Rescapé
"Au fond, des galeries communiquent d'une fosse à l'autre. J'étais électromécanicien non pas à la fosse St Ame mais au 19. Le matin du 27 décembre 1974, j'étais descendu à 4h30. Ma mission consistait à vérifier le câblage en cette période de fête. J'avais donc parcouru en vélo, les deux kilomètres de galerie qui mènent du 19 à la fosse St amé tout en vérifiant les circuits électriques. J'ai vu ainsi descendre les camarades qui, pour beaucoup, allaient mourir. J'avais terminé mon travail sur ce secteur et m'apprêtais à remonter sur mon vélo quand dans un bruit terrible, pire qu'un coup de canon, je fus projeté au sol. Ma jambe heurta une masse métallique. Je me retrouvais dans le noir absolu car tout avait disjoncté et il y avait tant de poussière partout que ma lampe ne dégageait plus qu'un minuscule halo de lumière. Je n'osais bouger car j'avais peur que le toit ne s'effondre sur moi. J'avais mal, la poussière me remplissait la bouche, les oreilles... J'avais une soif terrible mais, à tâtons dans le noir, je me rendis compte que ma musette, avec le choc, s'était répandue partout. Je n'avais donc plus rien à boire. Un temps plus tard, je ne sais plus combien au juste, un tracteur venu du 19 faillit m'écraser. Son conducteur eut juste le temps de m'apercevoir à temps dans la poussière qui commençait lentement à se dissiper. Il m'aida à monter sur l'engin et me ramena au 19.Quand je fus remonté, un ingénieur m'interpella pour savoir ce que je faisais au jour. Je lui annonçai qu'il y avait eu un coup de grisou et il me demanda si je n'étais pas fou. Réalisant la triste réalité, il me fit conduire en ambulance au dispensaire où je fus soigné pour ma jambe : on vida notamment un gros hématome de son sang. A 9h30 du matin, on me ramena chez moi. J'ai "posé blessé" durant deux mois et puis il a bien fallu redescendre car il me restait 18 mois avant la retraite. Durant ces heures sombres, ma femme et moi avons énormément apprécié la solidarité et le réconfort que nous ont procurés les mineurs et leurs familles, ceux que nous connaissions d'abord mais aussi ceux de toute la France. Nous avons ainsi pu recevoir une délégation des mineurs d'Auvergne. Ça nous a fait du bien à l'époque.Trente ans après, j'ai encore la gorge serrée quand on me parle de tout ça. De moi même, j'évite d'y penser, mais je vous le dit : c'est en moi !"
Josiane RAMEZ
La mine a causé bien des malheurs…
Josiane RAMEZ, 62 ans, veuve
"Mon mari Daniel avait 36 ans à l'époque, on formait un couple très uni. Daniel était quelqu'un de très sérieux qui s'occupait beaucoup de ses enfants. Notre fils allait toujours partout avec lui.Moi, je faisais des ménages et, ce 27 décembre j'étais partie travailler en enfermant mes enfants de 10 et 11 ans dans la maison. Vers lOhOO, ma patronne qui écoutait la radio m'avait dit "Savez vous Josiane qu'il y a eu une catastrophe dans une mine" puis une cliente était arrivée et on n'avait plus parlé de ça... A midi, je suis rentrée chez moi en mobylette, prenant le temps au passage de faire quelques courses indispensables à la boucherie et à la boulangerie. Arrivée à la maison, je constatais avec surprise que des gens de ma famille étaient là. Ma mère m'a annoncé qu'il y avait déjà dix morts là où travaillait mon mari. J'étais bouleversée mais je n'ai rien dit pour ne pas affoler mes enfants. J'ai préparé à manger en vitesse... Mon inquiétude s'est accrue quand à l'heure habituelle, mon mari n'est toujours pas rentré mais j'ai supposé qu'il donnait un coup de main pour déblayer et aider les sauveteurs. Je ne voulais surtout pas envisager le pire... Et puis les heures de doute se sont succédé : heures noires où la peur chevauche les moments d'espoir... Le soir, deux agents (je ne sais plus au juste qui ils étaient) sont venus nous annoncer le décès de mon époux et là, je me suis effondrée... J'ai traversé une période très difficile, j'ai perdu 10 kg, moi qui déjà n'étais pas grosse. Nous avons connu des difficultés financières car nous n'avons pas touché de pension avant deux mois et j'avais encore les meubles à payer. La même année, la maison a pris feu, puis, nous avons subi un vol... Pendant des mois, j'étais comme inerte, je n'avais plus de goût à rien , je ne m'occupais plus de mes enfants... Puis il a bien fallu reprendre le dessus, mais élever des enfants sans père c'est vraiment très difficile. La mine a causé bien des malheurs, mon mari est mort à 36 ans, son père était mort au même âge, tué à la fosse 1 de Liévin. "
Françoise OBERT
Je ne me suis jamais vraiment remise…
Françoise OBERT, 58 ans, veuve
"Mon mari avait comme un pressentiment, il n'avait rien dit mais je le sentais... Le 26 décembre, on avait rendu visite à toute la famille comme s'il voulait dire au revoir à tout le monde : mes parents à Sallaumines, ma sœur à Billy, sa mère et sa tante à Grenay, une autre tante à Mazingarbe. Dans une maison, il avait même dit "s'il m arrive quelque chose, je te laisserai une pension mais je n'aimerais pas mourir au fond". C'était sa hantise... Cette tournée dans la famille, on ne l'avait jamais faite ! De plus, mon mari travaillait un peu dans tous les puits car il était sondeur. Le hasard a voulu qu'il fût au 3 ce jour-là. C'est le destin d'autant qu'il avait demandé une journée de congé pour le 27 décembre. Cette journée lui avait été refusée. Quand mon mari est parti le matin, je me suis recouchée mais il est revenu peu après car il avait oublié son jeton. Vers 8hOO, une voisine est venue me dire qu'il y avait eu un coup de grisou au 3 de Lens. Je n'avais pas peur pour mon époux car je le croyais au 4 puisqu'il avait pris sa voiture (il ne la prenait jamais quand il restait sur Liévin). Je suis quand même allée voir à l'entrée de la fosse mais on ne nous a rien appris sinon qu'il y avait des morts. En moi-même je plaignais les femmes dont le mari travaillait à Saint Ame, que d'heures terribles d'incertitude il leur était imposé ! Rentrant chez moi je me rendis compte que ma fille de 11 ans avait, je ne sais pourquoi, démonté le sapin. Avait elle aussi un pressentiment ? L'après midi, mon mari n'était toujours pas rentré et je me suis dit qu'il était aller voir sur le carreau de fosse ce qui s'était passé. Il régnait en effet une telle effervescence que ceci était plausible. Vers 19h30, deux officiels sont venus à la maison et m'ont simplement dit qu'il fallait venir car les corps avaient été remontés : c'est par ces mots que j'ai appris la mort de mon mari. Devant son cercueil, posé par terre, je comptais et recomptais, une à une, incrédule, les syllabes de son nom sur l'étiquette, et je lisais et relisais : Obert Henri... Aux funérailles, il n'y avait plus une fleur dans le fourgon, tout avait été mélangé et le corps de mon mari fut ainsi conduit à Grenay. En rentrant du cimetière, mes enfants m'ont dit : on n'a plus de papa... Le comble, c'est que j'ai dû rembourser les outils et les bleus de travail. On n'a vraiment pas été ménagé. J'ai vécu trente ans comme au premier jour. Je ne me suis jamais vraiment remise. "
Laurent OBERT
mon père n'aurait pas aimé me voir comme ça !
Laurent OBERT, 33ans, fils de victime.
"A l'époque, j'avais trois ans mais je garde quand même de vagues souvenirs de mon père : des choses qu'un enfant remarque. Je le revois heureux dans sa voiture ou s'occupant avec amour de ses pigeons. De la catastrophe en elle-même , je ne me souviens pas du tout. J'ai vraiment pris conscience que mon père était mort par la différence que cela créait avec mes camarades d'école. Ils me racontaient ce qu'ils faisaient avec leur père, c'est à dire tout ce que je ne faisais jamais...Ils étaient admiratifs. Moi, je me reportais sur mon grand père, sur mes oncles pour glaner un peu d'affection virile. J'ai été élevé par ma mère et mes deux grandes sœurs et ça, des activités masculines, comme celles qu'aimait mon père, ça me manquait : s'occuper des bêtes, des chiens... Un jour, j'ai compris qu'il n'y avait plus de bêtes, plus de chiens et je me suis replié sur moi même. J'ai commencé à avoir peur des gens, à me retrancher derrière ma mère et mes sœurs et je suis toujours resté comme ça. J'ai raté ma scolarité, les idées noires m'ont envahi puis débordé. J'ai fait cinq tentatives de suicide, je me suis retrouvé en hôpital psychiatrique... Bref, le bilan de cette vie sans père a été très lourd pour moi. Aujourd'hui, trente ans après, il me faut partir de zéro. Je suis érémiste, je n'ai pas l'impression d'avoir un avenir mais quelqu'un m'a dit récemment que j'avais la vie devant moi... Alors je vais essayer de m'accrocher. Je n'y crois pas vraiment mais on verra ! Pour avancer aujourd'hui, il faut que je pense très fortement à une chose : mon père n'aurait pas aimé me voir comme ça !"
Christine LHERMITE
Ça vous brise, ou ça vous rend fort ...
Christine LHERMITE, 43 ans, fille de victime
"Mon père était un homme de son époque, plutôt intransigeant avec ses fils, plutôt conciliant avec ses filles mais en règle générale et pour nous tous, c'était un bon père, soucieux de l'avenir de ses cinq enfants, quelqu'un de très tendre. Le 26 décembre 1974, on avait bien rigolé avec une émission de variétés ou se produisait entre autres Annie CORDY venue chanter sa nouvelle chanson "Fifi brin d'acier". Ma mère voulait qu'on se couche mais mon père lui avait demandé de nous laisser regarder la TV arguant du fait que nous étions en vacances. Il faut dire qu'à ce moment, il était particulièrement heureux d'être grand père depuis quelques jours. Donc la joie régnait... Comme il aimait le faire, mon père m'avait brossé les cheveux et puis, vers 22hl5 nous étions montés nous coucher après l'avoir embrassé bien sûr ! Le lendemain, levée dés 8HOO, j'avais fait un peu de ménage avec ma sœur aînée pendant que notre mère était partie faire des courses à Rond-Point. Une de nos voisines était passée au moment même où l'on annonçait un coup de grisou au 3 de Lens ayant fait quelques morts. Il me semblait impossible que mon père puisse en être, lui, si fort, plein de vie... On a attendu toute la journée comme ça. Vers 21h30, mon grand-père en larmes est venu nous annoncer la triste vérité... Puis le cercueil nous a été ramené, comme le voulait ma mère. Comble du cynisme, une enveloppe était collée à même le bois, elle contenait un chèque de 1000F pour les "premiers frais et s'habiller en noir" .Décidément les Houillères pensaient à tout. Par contre, on n'a vu aucun officiels, personne n'a pris la peine de nous annoncer officiellement la mort de notre père.On n'a même pas pu revoir notre père... La veille encore on riait et il me brossait les cheveux... Avec mes plus jeunes frères et sœurs, on s'est glissé sous le cercueil, calculant nos possibilités de réussir à l'ouvrir par dessous pour le revoir, mon Dieu, pour le revoir une fois seulement ! Ça a changé bien des choses dans notre vie : ne plus avoir de père c'est n'avoir plus personne à qui se confier, personne pour vous conduire à la mairie le jour de votre mariage, personne pour partager votre joie le jour où un enfant arrive. Perdre son père, c'est le manque de toute une vie ! Mon frère Yannick, lui ne s'en est jamais remis : il nous avait toujours dit "je mourrai à l'âge de papa". Il n'avait pas menti, il s'est suicidé à 35 ans. Noël, n'en parlons pas ! Quand le cercueil de mon père est revenu, il nous avait fallu enlever, à toute vitesse, toutes les décorations et plus jamais nous n'avons décoré la maison ni fait de sapin au moment des fêtes. J'en ai refait un chez moi bien plus tard, pour mon premier enfant, mais sincèrement, le cœur n'y était pas. Trente ans après, il n'est pas un jour où je ne pense à mon père. Comme il ma manqué, comme il me manque, il n'a jamais quitté mon cœur même si on dit de moi que je suis une personne de caractère, une battante... Mais les grandes douleurs c'est comme ça, ou ça vous brise, ou ça vous rend fort ... tout au moins en apparence... "
CERJAK François
Cet énorme malheur qui a endeuillé notre ville…
CERJAK François, 71 ans Ancien délégué mineur
"Le 27 décembre vers 5h30, j'étais en pleine discussion dans les lavabos avec un mineur venu se plaindre de la présence de poussière dans le montage de la veine six sillons. Normalement, l'avancement du montage de taille devait se faire avec un « hydro-tir » c'est-à-dire une pression d'eau qui facilite l'abattage et réduit la production de poussières. N'ayant pas eu le temps d'installer l'hydro tir, car rappelons-le, les mineurs étaient payés à la tâche et leur temps était précieux, de la poussière se dégageait inutilement. Je voulais donc aller voir les ouvriers et leur expliquer qu'il fallait absolument monter l'hydro-tir. Je m'apprêtais à descendre quand on vint me dire qu'il y avait eu un coup de poussier. Avec d'autres ouvriers nous sommes donc descendus tout de suite, et arrivant vers six sillons nous avons vu la première victime qui avait été projetée contre une paroi. Nous avons éteint quelques foyers de flammes avec des extincteurs et, en progressant, nous avons rencontré des survivants qui, complètement hébétés, se dirigeaient tant bien que mal vers la cage... Plus loin, encore des corps... Trente ans après, j'ai vraiment le sentiment que cette catastrophe était difficilement prévisible. En effet la veine six sillons n'était encore qu'en préparation, elle n'était pas exploitée. Déplus, il n'y a pas eu de faute humaine, tous les mineurs, ce matin-là, étaient des gens très expérimentés. Enfin le gazier, qui était passé dans la nuit, n'avait relevé aucune trace de grisou
Un fait m'interpelle ; ce jour-là, la pression atmosphérique s'était d'un coup effrondrée de 11 millibars et on sait qu'au fond, cela a pour effet d'aspirer du grisou. Alors, peut-être, faut-il y voir la une cause importante de cet énorme malheur qui a endeuillé notre ville, notre Région et la grande famille de tous les mineurs de France. "
Georges CLIQUET
Trente ans après, je suis amer…
Georges CLIQUET 65 ans, Rescapé
« Le 27 décembre 1974, je suis descendu avec mes camarades. Parmi eux, VEREZ, SZCZEPANSKI, HANON et tous les autres. Au fond, j'étais responsable de l'outillage. Ainsi je m'étais rendu dans le coffre à outils pour y préparer des « arrosettes ». D'un coup une déflagration colossale m'a projeté contre les parois du coffre où je me suis fortement claqué le genou. La porte du coffre s'est refermé violemment et j'ai réalisé immédiatement qu'il s'était passé quelque chose de grave. J'entendais, à quelques pas, crier VEREZ et HANON. Quand j'ai ouvert la porte du coffre il régnait une atmosphère très dense en poussière et j'eus beaucoup de mal à respirer.Je suis quand même parvenu à rejoindre mes deux camarades et nous sommes remontés. A l'infirmerie, on m'a donné des premiers soins et dans l'agitation, j'ai oublié de déclarer ma blessure au genou, ce qui par la suite, m'a valu beaucoup de démêlés. Après plusieurs opérations, j'ai en effet aujourd'hui un genou en plastique. Trente ans après, je suis amer : j'ai dû redescendre au fond quinze jours après. On m'a même demandé de récupérer les habits de mes camarades morts durant la catastrophe. Ma blessure au genou n'a jamais été reconnue. Bref, on ne m'a pas fait de cadeaux. "
Disparition d’un rescapé…
Georges Cliquet est décédé dimanche 30 mai 2010 à l’âge de 70 ans à la polyclinique de Riaumont.
Il était l’un des derniers rescapés de la catastrophe minière de Liévin survenue à la fosse 3 de Saint-Amé le 27 décembre 1974. Responsable de l’outillage à cette époque, George.C fut sauvé lors de la déflagration par une porte métallique. Ils seront 8 mineurs rescapés de cette terrible catastrophe, le coup de grisou la plus meurtrière en France depuis Courrières en 1906 aura tué 42 personnes. Chaque année, George.C participait à toutes les commémorations en mémoire de ses camarades mineurs. Après la catastrophe, Il termina sa carrière comme lampiste jusqu'à sa retraite en 1987. Ancien combattant en Algérie, Georges Cliquet a été décoré de la Croix de guerre. En 2004, il a reçu la médaille de la Ville lors de la commémoration des trente ans de la catastrophe de Saint Amé.